Avignon 17, premier épisode : destins croisés entre Shizuaoka, Paris et Saïgon
Antigone
De Sophocle Mise en scène de Satoshi Miyagi Les 6, 7, 8, 10 et 12 juillet à 22h Tarifs :10 à 39 euros Réservation en ligne ou par tél. au 04 90 14 14 14 Durée :1h45 Cour d’Honneur du Palais des Papes Les Parisiens De et mise en scène Olivier Py Les 8, 9, 11, 12, 13, 14 et 15 juillet à 15h Tarifs: de 10 à 29 euros Durée : 5h avec un entracte La Fabrica
Saïgon De Caroline Guiela Nguyen Les 8,9, 10, 12, 13 et 14 juillet à 17h Tarifs : de 10 à 29 euros Durée : 3h45 avec un entracte |
De l’« Antigone » japonaise de Satoshi Miyagi qui marche sur l’eau aux « Parisiens » débridés d’Olivier Py, en passant par le « Saïgon » superbement mélodramatique de Caroline Guiela Nguyen, nouvelle artiste associée de l’Odéon, la 71e édition du Festival d’Avignon croise les chemins du Bien et du Mal par la transgression totale à Paris, la tempérance bouddhiste en Grèce ou les déchirures des exilés vietnamiens. Une manière de raconter des histoires à un public qui en redemande, curieux de formes nouvelles et de destins mystérieux. Une Antigone magique qui marche sur l’eau C’est dans une scénographie somptueuse, composée d’un lac d’eau sombre et hérissée de fantômes blancs, héros d’une mythologie grecque mués ici en personnages d’un théâtre d’ombre indonésien, le « wayang », que commence cette histoire écrite par Sophocle, vieille comme l’Antiquité grecque et devenue un mythe universel. Cette eau noire, qui miroite dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes de mille feux, c’est l’Achéron qui sépare le monde terrestre et l’au-delà. Antigone, l’héroïne révoltée de voir Créon, son oncle tyrannique, refuser d’enterrer Polynice comme cela a été fait pour Étéocle, l’autre frère, est condamnée à mort, emmurée dans la pierre d’un rocher qui surplombe l’eau. C’est la comédienne Mikari, icône de beauté nippone, enveloppée de voiles blancs qui flottent dans l’air, qui joue Antigone, alors que son double Maki Honda est la voix qui dit son texte dans l’eau. Les personnages principaux, Créon, Ismène, Hémon, Tirésias, sont donc tous dédoublés, tandis que maquillés de blanc comme dans théâtre nô et s’exprimant par une gestuelle démesurée, ils projettent leur ombre géante sur le mur du Palais des Papes. L’effet est assez sidérant, d’autant que les 30 artistes de cette production du Shizuoka Performing Arts Center constituent aussi un choeur parlant et chantant, qui reprend parfois les répliques des personnages. Les personnages du choeur sont aussi de remarquables musiciens, créant sur des claviers électroniques, tambourinant sur des percussions japonaises des rythmes exaltés ou planant, imprimant une transe onirique ou tellurique à cette histoire sacrificielle d’une gamine qui donne sa vie pour défendre son droit contre le droit politique de la cité. Au final, les bons et les méchants sont réconciliés en une sagesse, une tempérance bouddhique, quitte à aplanir les saillies de la dialectique tragique. Mais c’est superbe. Les Parisiens : farce cash et trash au coeur du politique et de la culture « Dans ma folle jeunesse, j’étais double. En moi il y avait un contemplatif assoiffé de prière et un hédoniste qui dévorait le monde » raconte Olivier Py, nous présentant ainsi sa dernière création, adaptée de son roman éponyme, sorti chez Actes Sud en 2016. Aurélien donc, jeune homme gracile et lumineux, séducteur et solaire, ambitieux comme un Rastignac monté de sa province, et Lucas, torturé et chrétien, dépressif et grave, sont les deux faces d’un héros qui ressemble étrangement à l’auteur. Sur la scène en damier noir et blanc va se jouer, durant cinq heures, une partie d’échecs sur deux niveaux dont Paris, coté ministères et anti-chambres de la haute administration, salons branchés avec petits fours de Pierre Hermé, sera le personnage principal. Des immeubles haussmanniens sont plantés en fond de scènes, mobiles comme des paravents d’un univers à la Balzac qui dissimule et exhale, encore aujourd’hui, ses relents putrides de pouvoir et de sexe. Mais en plus cru, en plus trash. L’univers dans lequel va baigner Aurélien/Lucas (Emilien Diard-Detoeuf et Joseph Fourez), Eros et Thanatos, ange déchiré entre la jouissance et la foi, est traversé par des personnages corrompus et pervers qui passent leur temps à cavaler après le pouvoir, l’argent et le sexe. Comme dans « Orlando » présenté en 2014, Olivier Py ne se prive de rien, va encore plus loin dans la démesure de ses fantasmes et de ses révoltes. C’est puissant et drôle car l’aspect rabelaisien, grotesque, délibérément caustique à la Satyricon, sans limites ni tabou, ouvre les vannes des scènes les plus audacieuses et provocantes qui sont portées sur le plateau par des comédiens éblouissants de vitalité et de talent. On voit ainsi un ministre de la Culture bedonnant et niais (Jean Alibert) à la voix flutée, allusion non déguisée à Frédéric Mitterrand qui n’avait pas renouvelé son mandat à la tête de l’Odéon en 2012, une papesse cultureuse à la tête de grande chipie en tailleur moutarde (Mireille Herstmeyer) qui fait la pluie et le beau temps en picolant sec, autre allusion, un mécène en fauteuil roulant qui ressemble fort à Pierre Bergé, un Milo Venstein chef d’orchestre et deux impétrants (Moustafa Benaïbout et François Michonneau) à la direction de l’Opéra de Paris qui s’aiment autant qu’ils se haïssent. On l’aura compris, Olivier Py règle ses comptes -non soldés- et en rajoute une couche au pinceau très épais, rallongeant des scènes qui en deviennent parfois ennuyeuses. Envers du décor, on lance un comité pour la défense des droits des prostituées, trans et homos en tous genres, qui ont bien le droit de donner du plaisir à l’ouvrier qui trime, selon la jeune Serena (Laure Calamy). Plus loin, Lucas devant une bienveillante infirmière (Céline Chéenne) et un prêtre (Philippe Girard) confessera ses tourments sur Dieu, absent, et la foi qui reste à sauver. Spectacle généreux et boursouflé par un trop plein de mots et d’images, ces Parisiens est aussi un texte joué par d’éblouissants comédiens, un bateau ivre dont la vitalité nous fait oublier la désespérance du propos. Saïgon : nostalgie et déchirures de l’exil Comment parler de l’exil et des traumatismes de la décolonisation ? Comment évoquer ces déchirures, cette mémoire trouée de larmes et de rires, qui est le fruit du croisement d’histoires dans des pays qui se sont mariés un temps, pour divorcer ensuite ?
A découvrir sur Artistik Rezo : [Crédits Photos : © Christophe Raynaud Delage] |
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